Lorsque on prépare l'examen d'histoire primitive du Japon à l'Université, on a l'impression que l'écriture et le bouddhisme sont les seules deux choses arrivées de Chine. Mais en réalité la culture chinoise et la coréenne ont diffusé dans l'archipel tellement de nouveautés culturelles !
Celle qui nous intéresse là, forcément, c'est dans le domaine de la musique.
Dans le Japon du V siècle, les indigènes utilisent des percussions simples, pour la communication et pour « parler avec les divinités » ; dans toutes les cultures du monde, les hommes primitifs ressentent les pouvoir du « divin » dans les grondements d’un tambour. Le tambour japonais du V siècle, donc, a un côté intuitif, établit un lien immédiat avec l'interlocuteur, humain ou divin selon les intentions.
C’est à ce moment-là que des tambours plus sophistiqués arrivent de Chine et Corée.
Peut-être que le peuple a continué à jouer de tambours primitifs pendant encore longtemps. Mais les tambours raffinés, précieux, finement décorés, de plusieurs formes et couleurs qui arrivent de loin, ont tout de suite trouvé leur place à la cour de l'Empereur et font la joie des aristocrates lors des fêtes et cérémonies.
En 1192 l’époque Kamakura commence, les samouraïs gagnent du pouvoir, le Japon dit féodal s’installe et les arts de scène se détachent de l’influence chinoise et coréenne. Des spectacles uniquement appartenant à la culture japonaise naissent.
Le taïko demeure dans les cérémonies religieuses : un exemple de sacralité de ce tambour, ce sont les cérémonies dans les temples bouddhistes et dans les sanctuaires shinto où souvent c’est le prêtre qui doit autoriser un joueur à toucher au tambour.
On trouve le tambour aussi dans les fêtes de village (matsuri) de remerciement et de prière pour le récolte ; dans les danses à caractère sacré. Et ce qui est fascinant pour nous les occidentaux, c'est qu'un grand nombre de ces fêtes et danses traditionnelles ont continué tout le long de l’histoire japonaise, et encore aujourd'hui on peut en voir un peu partout, lorsqu'on visite le Japon.
Au fond, c'est un peu la caractéristique principale du Japon, non ?
La technologie très avancée, avec le reste du monde qui court derrière essoufflé pour garder le rythme, une vie mené à une vitesse impressionnante, tous les types de confort et de services, toutes les idées les plus futuristes qui se réalisent chaque jour, et à côté, des bulles hors du temps, pleines d'histoire, de tradition, de beauté, de sacralité.
Après le Moyen Age, les tambours, en dehors de la Cour Impériale, des temples, des sanctuaires et des matsuri, trouvent également une place dans les représentations théâtrales (dans le théâtre classique Nō, et dans les orchestres Nagauta qui accompagnaient les représentations du théâtre populaire Kabuki).
Dans le kabuki, il existe un lien symbiotique entre le son, le mouvement, l'espace et la voix, traités comme des "éléments également significatifs", sans hiérarchie à respecter, et non pas comme des éléments d'accompagnement. Le cinéaste soviétique Eisenstein observait avec émerveillement comment pour les Japonais, le théâtre est une expérience sensorielle totale : la structure même du bâtiment théâtral en est la preuve. Alors que dans le théâtre européen, l'espace pour l'orchestre est séparé entre la scène et le public, occupant ainsi une position secondaire, dans le kabuki, les musiciens, les conteurs et les narrateurs se trouvent sur la scène principale ou sur celle rotative, sans devoir être cachés pour donner l'impression de réalisme : la fiction est déclarée. Le résultat est une expérience synesthésique et multisensorielle, où "nous entendons le mouvement" et "nous voyons le son". Le côté très visuel du taïko contemporain trouve peut-être ses racines dans cette tendance théâtrale. Malgré cela, ma recherche d'une image de kabuki avec un tambour visible a échoué. Si vous en trouvez, n'hésitez pas à me l'envoyer.
Au fil des siècles, d'un point de vue esthétique, les riches décorations très colorées des instruments chinois et coréens se transforment, au fil des siècles, en décorations beaucoup plus sobres, simples, presque minimalistes, même si les costumes et les scénographies des matsuri gardent un côté folklorique très vif, très coloré. Aujourd'hui beaucoup de groupes taïko, notamment en Occident, ont des costumes sobres, plus de scène que de rue, et le noir est très utilisé.
Mais comment a fait-il le taïko à sortir de son contexte traditionnel pour devenir un art aussi sobre et aussi international ?
A quel moment le tambour japonais contemporain devient-il une réalité ?
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