Un jour de 1984, Marco part en tournée internationale avec le groupe. Ondekoza participe au Festival of Fools d’Amsterdam. Il y a des artistes de tous types, qui arrivent de tant de pays différents. Il y a aussi une artiste de théâtre qui s’appelle Rita Superbi, laquelle assiste au concert d’Ondekoza et reste foudroyée. Elle trouve un moyen de communication en Marco, le seul occidental du groupe, qui en plus parle un peu d’italien, étant suisse. Le soir, dans le sleep-in d’Amsterdam, Rita et les Ondekoza se régalent avec des pâtes à la « puttanesca » ; Rita échange avec Marco et lui demande une cassette VHS (pas d’internet dans les années ‘80!).La cassette n’arrivera jamais. Quatre ans après, Rita travaille en tant que Pony Express à Rome (eeeh oui, pas d’intermittence en Italie!) et il lui arrive de devoir aller chercher un colis à la télévision japonaise. Une idée se fraie un chemin dans son esprit, un espoir plus qu’autre chose… Elle demande l’adresse d’un groupe de taiko qui se trouve au Japon. Quelqu’un lui donne l’adresse de Kodo. Elle écrit une lettre aux membres du groupe Kodo, qui avec bienveillance l’envoient à Ondekoza, qui habitaient et répétaient à Atami à l’époque. Marco répond cette fois, et Rita part au Japon sans connaître un mot de japonais, et répète avec Ondekoza tous les jours pendant les trois mois du visa touristique. Elle rentre à Rome avec un répertoire dans la tête et dans les … bras. Mais elle continue à pratiquer, tous les jours, et elle commence à impliquer des collègues du théâtre d’abord, et puis toutes les personnes qui se laissent charmer par cette percussion inédite.
Grâce aux concerts, l’achat de tambours japonais devient de plus en plus possible. Mais Rita ne s’arrête pas là : elle fait fabriquer des supports pour des simples tablettes en bois, relevées une dizaine de centimètres du sol, alignées devant le public et dont les percussionnistes, alignés à leur tour, jouent à genoux. Les rythmes endiablés, associés à des chorégraphies très droites, avec ces corps figés où seuls les bras bougent, et à une vitesse presque pas humaine, en style arts martiaux, font un contraste original, inédit, que personne n’avait jamais vu en Europe auparavant. Les membres de ce premier groupe européen, né à Rome grâce à Rita Superbi, changent souvent, mais Rita persiste et arrive à avoir un bon nombre de magnifiques tambours.
Un jour, autour de 1994-5, son groupe se produit en plein centre ville à Rome, dans le cadre d’un événement hebdomadaire qui prévoit la fermeture à la circulation tout le long des « Forums Impériaux » le dimanche, et qui s’appelle « Dimanche aux Forums ». Je me promène en regardant les différentes performances. Il y de tout, du quatuor à cordes, à la jonglerie, la lecture de poésies, la danse contemporaine déjantée, le body painting, etc. Le destin décide que je me trouve presque en face de la scène la plus grande, près du Colisée, au moment où une fille face à un énorme tambour couché sur un support haut (la peau est donc en verticale) ouvre majestueusement ses bras, comme une divinité du flamenco, en étalant de très larges manches blanches, juste avant de mettre un seul, puissant, coup de baguette sur l’énorme peau. Coup de foudre. Les mots n’arriveront jamais à décrire ce que j’ai ressenti à ce moment là. A la fin du spectacle je suis allée me renseigner et j’ai eu le tout premier échange avec une femme extraordinaire, qui a importé le taiko en Europe, qui a été ma toute première enseignante de taiko, qui est encore aujourd’hui, après 30 ans, une très bonne amie et un repère pour moi.
Rita à l’époque ne donnait pas de cours hebdomadaires, elle organisait des stages assez irréguliers et j’ai vite perdu le rythme. Je l’ai retrouvée à plusieurs reprises pour travailler avec elle, au fil des années. Entre temps je faisais de la danse afro-haïtienne, du djembé, de la darbouka, du chant jazz et médiéval, et à chaque fois la passion était au rendez-vous, donc je n’avais pas encore compris que mon instrument était le taiko.
En 2003 j’arrive enfin à répéter régulièrement avec elle et à me produire sur scène avec son répertoire. Elle utilise toutes les connaissances possibles de ses copains de voyage, et donc, vu que j’avais fait un stage de six mois à Tokyo avec la compagnie de butoh Dairakudakan, j’ai fait du butoh pour nos spectacles de taiko, à Rome. Le fait que je maîtrise la langue japonaise a aussi apporté des idées de textes, noms, titres. Mais en 2004 je trouve un emploi à Francfort, et la merveilleuse aventure avec Rita arrive à sa fin. Jamais je n’aurais imaginé que je ne serais plus rentrée vivre à Rome.
Je vous laisse avec la vidéo de présentation de l'Ecole de Taiko de Rita Superbi à Rome. Voici plus ou moins ce qu'elle dit en italien :"Taïko signifie "tambour" en japonais, et l'art du taïko est une technique de percussion où tout le corps est impliqué. Par conséquent, à chaque partition rythmique correspond une partition "physique" spécifique. Debout, je joue d'une manière, en diagonal d'une autre. Dans mes ateliers de taïko on travaille d'abord sur la préparation physique, pour renforcer les différentes parties du corps, et en suite on touche les tambours, comme si on exécutait des "katas" d'arts martiaux. On aura donc de l'énergie, du rythme,le corps qui se fusionne en un seul souffle avec le tambour."
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